DANS LES MÉDIAS

LE MONDE : Emmanuel Macron cloue l'audiovisuel public au pilori
Catherine Morin-Desailly 07/12/2017

Lors d'une réunion, le président s'est montré très critique envers France Télévisions, Radio France et le CSA

François Bougonet Alexandre Piquard François Bougonet Alexandre Piquard François Bougonet Alexandre Piquard

La honte de la République. » Ces mots cinglants à propos de l'audiovisuel public prêtés à Emmanuel Macron par L'Express ont sidéré le secteur, mardi 5 décembre. Supposément tenus lors d'une réunion, lundi soir à l'Elysée, avec les députés de La République en marche (LRM) et du MoDem membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, les propos ont été « fermement » démentis par la présidence de la République, sans plus de détails. 


Avant que Télérama affirme qu'Emmanuel Macron avait déclaré : « L'audiovisuel public, c'est une honte pour nos concitoyens, c'est une honte en termes de gouvernance, c'est une honte en ce que j'ai pu voir ces dernières semaines de l'attitude des dirigeants. »

La charge est extrêmement sévère et inédite, d'autant que le chef de l'Etat ne s'était, depuis son élection, jamais exprimé directement au sujet de France Télévisions ou de Radio France.

Tentant de minimiser la portée de la polémique, le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Bruno Studer (LRM), a expliqué que M. Macron avait parlé de « son ambition pour l'audiovisuel public, même s'il a été critique . 

De son côté, Gabriel Attal, autre député macroniste, note que le chef de l'Etat a dressé  « un constat sévère sur la gouvernance de l'audiovisuel public, soulignant son incapacité à s'adapter aux nouveaux enjeux » 

M. Macron a fustigé  « la mauvaise gestion, le gaspillage, la médiocrité des programmes et des contenus, les relations malsaines entre l'audiovisuel et ses partenaires extérieurs », a rapporté le site de  L'Express. « C'est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l'entreprise unique [à France Télévisions]  existe; pour une synergie quasi inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques; pour une production de contenus de qualité variable », a-t-il déploré, selon  Télérama. 

D'après l'hebdomadaire, le président a estimé que France Télévisions ou Radio France ne cherchaient pas assez à  « éduquer des gens qui sont loin de la culture (|),  qui ne vont jamais regarder ni Arte ni une chaîne de télévision publique » . Il a regretté qu'  « on ne regarde pas le continent sur lequel nos gamins sont en train de s'éduquer », c'est-à-dire Internet. 

Mardi matin, l'article de  L'Express a provoqué un moment de flottement, lors d'un colloque à l'université Paris Panthéon-Assas auquel participaient deux grands dirigeants du secteur : la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, et le président de Radio France, Mathieu Gallet. La première a esquivé :  « Je ne peux pas avoir de réaction, je n'y étais pas, je trouve ça curieux. » 

Questionné à la sortie, M. Gallet a préféré vanter  « les succès de [leurs]  audiences, la fidélité de [leurs] publics » .  « On est aujourd'hui dirigé vers la transformation qui nous est demandée », a-t-il insisté, soulignant qu'une  « proposition commune » sur l'avenir de l'audiovisuel public, émise avec les directions des différentes sociétés concernées, allait être communiquée dans la semaine. 

Les griefs de M. Macron confirment ce que ressentent la plupart des acteurs de l'audiovisuel public : ceux-ci ont de plus en plus l'impression que le gouvernement ne les tient pas en haute estime et cherche à les bousculer. La CGT de France Télévisions a jugé mardi que  « cette stratégie du dénigrement s'inscri [vait]  dans une volonté affirmée de saccage économique et de reprise en main politique de l'audiovisuel public » 

Rendez-vous cruciaux 

Mardi, M. Gallet a mis en garde :  « Si le cap est seulement économique, voire budgétaire, je peux vous dire que ça ne se passera pas très bien au sein de nos entreprises (|). Si on veut que la transformation se fasse, il faut préciser quel sens donner aux missions du service public à l'heure du numérique. » La sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, a plaidé pour davantage de mutualisation :  « Rapprochement des rédactions, fusion des services support, diminution à terme des masses salariales, remise en cause de certains services| Cet effort est essentiel, car l'audiovisuel public a besoin de convaincre qu'il n'est pas un puits sans fond. » 

Cette polémique survient alors que l'audiovisuel public fait face à des rendez-vous cruciaux : mardi 12 décembre, les journalistes des rédactions de France Télévisions s'exprimeront sur une motion de défiance visant Mme Ernotte, qui a choisi de supprimer trente temps pleins à l'information, dont trois à « Envoyé spécial » et « Complément d'enquête . 

Des coupes engagées pour atteindre les 50 millions d'économies supplémentaires exigées par le gouvernement pour 2018, dont la présidente doit présenter les détails le 21 décembre. A moyen terme, une réflexion sur l'avenir de l'audiovisuel public a de plus été exigée par la ministre de la culture, Françoise Nyssen, et ses homologues de Bercy. Associant Mme Ernotte, M. Gallet, Marie-Christine Saragosse de France Médias Monde, Véronique Cayla d'Arte et Laurent Vallet de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), cette concertation doit aboutir d'ici à la fin de l'année.  En parallèle est mené un autre travail, dans le cadre du Comité action publique 2022, créé par le premier ministre Edouard Philippe afin de réduire la dépense publique. Attendu fin mars, le résultat pourrait être inédit si l'on en croit le « document de travail » produit par le ministère de la culture et révélé par  Le Monde. Le texte prône la suppression de France Ô et le rapprochement de France Télévisions et de Radio France dans une entité unique.  Ces bouleversements pourraient être inscrits dans une loi, à la faveur de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels, au second semestre 2018 ou en 2019. Le gouvernement a déjà prévu d'utiliser ce texte pour retirer au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) son pouvoir de nomination des présidents de l'audiovisuel public, afin de le confier aux conseils d'administration des entreprises concernées.  « Le modèle du CSA est caduc », a lancé, selon  Télérama, M. Macron, sans nuance.