DANS LES MÉDIAS

Tribune de Vincent Capo-Canellas dans Le Monde : "Emmanuel Macron doit dépasser la théorie du « nouveau monde »"
Vincent Capo-Canellas 07/09/2017

Le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas met le président de la République en garde contreune vision binaire du jeu politique, qui lui attribue tout le mérite de la modernité maiss'accommode mal de la pratique du pouvoir

Les élections sénatoriales du 24 sep­tembre seront le premier rendez-vous démocratique depuis la mise en place du gouver­­nement. Elles viendront de manière symbolique « évaluer » les débuts du ma­cronisme. Ces élections au suffrage universel indirect seront aussi un indice de la relation entre le pouvoir et la France des territoires, celle des corps intermédiaires, qui font une part de l'opinion et de la cohésion du pays. 
Le Sénat est le reflet de la France, de sa diversité et de ses aspirations. Et demain, je le souhaite, il sera la seule institution « non alignée », à côté de l'Elysée, Matignon, l'Assemblée nationale. Plus ouvert que l'Assemblée, il est libre de passer des compromis ou de marquer des désaccords, avec une tradition d'écoute et de construction. Les institutions sont bien faites; la majorité du Sénat ne procède pas de l'élection présidentielle et ce sera utile à la respiration du pays. De ce débat futur que j'appelle de mes voeux, et dans lequel les sénateurs centristes auront à coeur d'intervenir, on peut déjà poser quelques termes.  Il y a bien sûr du positif dans les premiers mois d'Emmanuel Macron : le retour de la France sur la scène européenne et internationale, les ordonnances sur le dialogue social qui ré­forment substantiellement le code ­du travail, plus généralement le côté pro-business et pro-environnement, le maintien d'une posture sécuritaire pragmatique. Tout cela (en dehors des ordonnances) reste largement au stade des intentions de long terme.  Déjà les points de vigilance apparaissent. D'abord, on relève l'affirmation d'une autorité parfois à contretemps ou incomprise : en attestent la crise provoquée avec notre armée, le Congrès de Versailles, des coupes budgétaires brouillonnes et sans débat d'ensemble.  Ensuite, on déplore l'absence de clarté sur le cap : le président a escamoté à tort le rendez-vous du 14-Juillet et a trop longtemps laissé les Français sans explications sur le sens des réformes à venir et leur impact sur les ménages; il inquiète fortement sur le devenir des collectivités.  Enfin, on constate la curieuse relation que le pouvoir entretient avec les corps intermédiaires : les journalistes, le Parlement, les élus locaux, les organisations représentatives, les grands cadres de l'Etat. Il y a une explication à cela : la toile de fond de ces débuts présidentiels repose largement sur l'idée d'un « nouveau monde » que le pouvoir prétend incarner et qui s'opposerait à un « ancien monde », représenté par les corps intermédiaires.  L'ancien monde est supposé être le défenseur d'un conservatisme économique et social qui aurait bloqué la transformation de notre pays. Cette ­vision binaire légitime des méthodes qui ­prétendent relever d'un « esprit start-up », mais qui rappellent plutôt le mauvais côté de certains banquiers d'affaires : la force prime.  Le piège de la loi de confiance  Du coup, le pouvoir a semblé surfer ­sur l'envie de l'opinion de renverser la table... quitte à oublier qu'il incarne main­tenant les institutions. Ce fut en partie vrai de la loi dite de confiance dans la vie politique. Le gouvernement a compris un peu tard qu'il se piégeait à jouer avec l'antiparlementarisme.  Cette application de la théorie du « nouveau monde » est contradictoire avec la bienveillance qu'Emmanuel Macron affichait en campagne. D'ailleurs, élu, il pratique fort modérément cette bienveillance dans le champ politique. Un pouvoir cherche normalement à rassembler et à élargir sa base. Il doit réformer, donc affronter des conservatismes. Il faut un large soutien pour cela.  Ainsi, Emmanuel Macron portait, au départ, l'idée d'une troisième voie : le fameux « en même temps », la volonté d'associer des gens de gauche, de droite, du centre, de traiter les réformes de manière pragmatique et selon les standards internationaux... Mais sa pratique du pouvoir dit le contraire de cette hypothétique troisième voie. Recomposition rime curieusement avec assimilation à « République en marche . C'est réducteur : il se limite à ses soutiens au moment de réformer, donc de troubler l'opinion.  Cette théorie du « nouveau monde » devra dans les prochaines semaines ­affronter trois écueils majeurs : la réforme constitutionnelle (quelle architecture des pouvoirs?), la concré­tisation de l'idée de contrat avec les collectivités (promise lors de la Conférence des territoires), le projet de loi de finances 2018. Après les ordonnances sur le dialogue social, faisons crédit ­au gouvernement de sa capacité à aborder les réformes de la formation professionnelle et de l'assurance-chômage. Mais, avec la réforme constitutionnelle, et pour espérer atteindre les trois cinquièmes, il devra clarifier sa relation aux autres forces politiques et sa vision du pouvoir.  Avec les collectivités, il devra s'adresser à la France des territoires, celle qui souffre aujourd'hui en milieu rural, en banlieue, dans les villes moyennes, autrement qu'en maniant la contrainte financière. S'agissant du budget pour 2018 et de la fiscalité, il devra montrer qu'il est capable de moderniser le ­pays tout en répondant à la soif de justice ­de tous ceux qui craignent la relégation.  Ces différents enjeux seront au centre des débats entre le Sénat et l'exécutif. Le Sénat pourra y prendre sa part, en restant lui-même, c'est-à-dire en mesurant lucidement que l'échec prématuré d'Emmanuel Macron serait d'abord la victoire de Jean-Luc Mé­lenchon ou de Marine Le Pen, avant d'être celle de LR ou de l'UDI. « Nouveau et ancien mondes » importent finalement assez peu. Dépassons cela et affrontons les problèmes du pays.