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Le Taurillon magazine eurocitoyen: Rapport sur la gouvernance européenne du numérique: « Le marché intérieur est une chance pour notre économie » selon Catherine Morin-Desailly
Catherine Morin-Desailly 06/11/2012

Le Taurillon : Le marché intérieur fête ses 20 ans. Pensez-vous qu’il constitue une chance ou un frein aujourd’hui pour notre économie ?

Catherine Morin-Desailly : Comme je le répète souvent au Sénat, l’Union européenne ne doit pas être un frein mais une chance supplémentaire d’encourager tout ce qui participe du dynamisme et de la vitalité économique. Dès lors, le marché intérieur européen est bien entendu une chance pour notre économie, mais à la condition que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Dans le cas du numérique, facteur important de croissance pour le marché, si on envisage uniquement l’angle commercial, et non la stratégie politique globale, on risque de dépendre rapidement et définitivement de pays tiers extra-européens qui opèrent dans des contextes juridiques et économiques différents. Il nous faut donc adopter des règles de concurrence véritablement loyales (harmonisation fiscale des Etats-membres quant à la TVA et l’impôt sur les sociétés).

Le Taurillon : Vous êtes en charge d’un rapport sur la gouvernance européenne du numérique… De quoi s’agit-il ?

Catherine Morin-Desailly : Depuis deux mois, j’auditionne différents acteurs nationaux et internationaux afin de dresser un état des lieux et proposer des pistes afin que l’Europe remplisse pleinement le défi du numérique. Étant donné que le numérique est l’un des sept axes majeurs constitutifs de la stratégie Europe 2020 et que l’objectif est de créer un marché unique du numérique reposant sur l’Internet haut débit et sur des applications interopérables, il me semble très important qu’on dispose d’éléments et de pistes pour avancer sur le sujet.

Le Taurillon : En ce moment, il y a un bras de fer entre la Commission et la France sur le montant de la TVA pour les livres numériques. S’opposent deux logiques. D’un côté la Commission estime ce marché numérique comme étant européen et devant garder les mêmes règles pour tous les acteurs. De l’autre, la France veut continuer à faire du secteur du livre, un secteur privilégié. Peut-on trouver un consensus en la matière ?

Catherine Morin-Desailly : Je suis intervenue pas moins de 3 fois au Sénat pour défendre une TVA réduite sur les livres numériques car il me semble légitime que le livre numérique bénéficie d’une TVA alignée à celle sur le papier ; la même règle doit d’ailleurs prévaloir pour la presse. C’est un choix de culture et de société fort. Lorsque nous avons adopté la loi au Parlement, nous nous sommes volontairement attachés à la clause d’extra-territorialité qui impose le même prix de vente, en France comme à l’étranger, d’un livre numérique édité sur le territoire français. Cette disposition, qui vise à protéger les acteurs nationaux face un certain nombre d’acteurs de l’Internet installés à l’étranger, était surtout un message fort à l’attention de Bruxelles. Nous avons sciemment voulu que la France soit fer de lance sur le sujet. Bien qu’actuellement Bruxelles menace à terme de saisir la Cour de Justice, elle reconnait en même temps « la légitimité de ce débat » et « l’importance de la neutralité technologique ». Je suis donc persuadée que Jacques Toubon saura convaincre la Commission.

Le Taurillon : L’Europe avance de plus en plus en fonction des intérêts nationaux. Comment retrouver l’intérêt général européen ?

Catherine Morin-Desailly : L’intérêt général européen existera dès lors que nous construirons une Europe politique. Sans elle, il ne peut y avoir de projet de soit été digne de ce nom. Je suis une européenne convaincue. Pour moi l’Europe n’est pas un choix de raison mais bien un idéal politique et une force de progrès dans tous les domaines. L’Europe de demain doit être régulatrice pour définir les nouvelles règles du jeu mondial et relever le défi de remettre de l’éthique et de la morale dans le fonctionnement de l’économie mondiale. Elle doit également être plus démocratique et plus en phase avec les attentes des citoyens. Enfin, elle devra aussi redevenir ambitieuse et conquérante. La création d’une Europe politique, qui sera peut-être les prémices d’une Europe fédérale, demande que chacun accepte l’esprit collectif et renonce un peu à sa souveraineté nationale. Mais c’est pour moi la seule façon que l’on soit plus forts ensemble et que l’on mette un terme à des crises successives qui affaiblissent l’Europe.