LES COMMUNIQUÉS

Catherine Morin-Desailly 18/09/2018

«TRIBUNE : Patrimoine en péril»

Ces 35e journées européennes du patrimoine auront encore une fois été un succès - des millions de Français qui profitent de ces journées pour aller à la rencontre de leur histoire. Cela témoigne de la place unique qu’occupe le patrimoine dans nos vies, dans nos imaginaires, dans notre aspiration à préserver nos racines. Placées sous le signe de « l’art du partage », ces journées du patrimoine s’inscrivaient dans le cadre ambitieux de « l’année européenne du patrimoine culturel » et de la mission Stéphane Bern, lancée le 31 mai dernier pour sauver quelque 2000 sites en péril partout en France. A cet effet, les premiers tickets du loto du patrimoine, dont une partie des gains sera reversée à la Fondation du Patrimoine, reconnue pour son travail remarquable, ont été mis en vente dès cette rentrée pour sensibiliser l’ensemble des citoyens aux enjeux financiers de la restauration de 18 sites prioritaires. D’aucuns soulignent à juste titre que les gains engendrés par le loto du patrimoine ne sauraient dédouaner l’État de son effort d’investissement continu, nécessaire à la restauration et à la préservation d’un patrimoine immense.

Je me réjouis que ces initiatives suscitent un tel engouement. Je regrette simplement l’ambivalence du Gouvernement, qui, parallèlement à cela, est sur le point de nous imposer une loi pouvant menacer la préservation de notre patrimoine.

Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), dont nous avons débattu en première lecture au Sénat comme à l’Assemblée nationale avant l’été, est en effet en passe d’être définitivement adopté après que la commission mixte paritaire, qui se tiendra cette semaine, finalise le texte. Il est encore temps de revenir sur les mesures d’exception au dispositif Malraux qui ont été proposées, remettant indirectement en cause cinquante ans d’efforts pour préserver un patrimoine qui constitue une part importante de l’âme de nos villes, participe à la qualité de vie tant recherchée par nos concitoyens et contribue au renom touristique de nos belles régions. Je m’étonne que le Gouvernement, qui a érigé la protection du patrimoine au rang de cause nationale d’un côté, plaide ainsi de l’autre pour la démolition des habitats insalubres au détriment de leur revalorisation et de leur restauration.

La physionomie de certains quartiers de Paris, Dinan, Bayonne, Rouen ou Avignon serait bien différente aujourd’hui si la loi Malraux de 1962 n’avait pas encouragé à préserver les quartiers historiques au lieu de les raser pour les reconstruire.

La loi ELAN revient également sur la loi de 1977 sur l’architecture et celle du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) élaborées, on s’en souviendra, en réaction aux errements de la construction d’après-guerre où l’absence de règles se justifiait par l’urgence de reconstruire le pays et l’absence de prise de conscience des enjeux qualitatifs. Pendant des années, on a ainsi laissé se produire des bâtiments de piètre qualité dont les limites et les coûts à long terme apparaissent aujourd’hui nettement. « Construire vite et pas cher », voilà l’objectif annoncé de la loi dispensant du recours à l’architecte. Ce n’est pas la France qui avance mais celle qui revient plusieurs décennies en arrière !

J’ai conscience que les impératifs patrimoniaux doivent être conciliés avec d’autres enjeux – écologiques, économiques, sociaux, urbanistiques, etc. – tout aussi essentiels pour nos territoires. Cela n’est pas antinomique, le patrimoine restauré et adapté aux usages étant au contraire un vrai atout pour la revitalisation des centres-bourgs et villes moyennes aujourd’hui.

Soyons clairs, la France ne doit pas sa place de première destination touristique au monde à ses grandes surfaces et ses tours d’immeubles !

En d’autres termes, ce texte est une régression pour la qualité architecturale de notre environnement et ouvre des brèches inquiétantes dans notre dispositif juridique de protection du patrimoine, que le Parlement, à l’initiative du Sénat, avait souhaité, sans pour autant sacrifier les fondamentaux, moderniser il y a tout juste deux ans avec la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Les dispositions de la loi LCAP, votée le 7 juillet 2016 et saluée par toutes les parties prenantes, auront à peine eu le temps de s’appliquer, encore moins d’être évaluées.

Malgré la détermination des membres de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication que j’ai l’honneur de présider, malgré la mobilisation de toutes les associations de défense et de sauvegarde du patrimoine, malgré l’avis des experts du ministère de la Culture, malgré le cri d’alerte d’un Stéphane Bern avisé, nos positions en faveur de la préservation du patrimoine n’ont pas été entendues. Il est vrai que ce texte défendu par le ministre de la Cohésion des Territoires a échappé au ministère de la Culture, dont la direction du patrimoine et de l’architecture est vacante depuis que toute cette affaire a débuté. On ne s’en étonnera pas mais on s’en inquiétera.

La journée de rencontre des « Sites & Cités remarquables » qui se tiendra à Lyon le 20 septembre prochain et à laquelle j’ai prévu de me rendre sera l’occasion de faire le point sur ce sujet précisément.


Catherine Morin-Desailly Présidente de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication Sénatrice de la Seine-Maritime